COP 21 : clap de fin

par | 22 Déc 2015 | Archives

La COP 21 ayant jeté l’opprobre sur les sources d’énergie fossile et ardemment célébré les énergies renouvelables, tous les grands projets de construction de gazoducs qui agitent l’Europe et sa périphérie allaient-ils être enterrés ? Lors du sommet européen des 17 et 18 décembre dernier, le doublement du trajet North Stream qui amène le gaz directement de la Russie à l’Allemagne a tenu le haut des discussions et des désaccords. Il faut donc se rendre à l’évidence : les hydrocarbures continueront à être utilisés au quotidien.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, après l’arrêt du nucléaire programmé en Allemagne, ce pays s’est réfugié dans le dopage de ses centrales à charbon avec, en particulier, le renforcement de l’utilisation des gisements pauvres de lignite. Ceci ne peut guère durer. En effet, sans le savoir, les Français supportent cette situation car, par vent d’Est, la pollution qui pénètre la Forêt-Noire arrive jusqu’à Paris, comme en témoignent les fréquentes alertes à la pollution dans la métropole. La combustion du gaz s’avère donc être la meilleure réponse apportée aujourd’hui pour lutter contre la pollution urbaine. Il faut espérer que l’Europe tout entière préférera, pour son futur électrique, remplacer le charbon ou le fioul par le gaz.

Le gaz, il s’agit du méthane (CH4), offre la meilleure combustion et les cycles combinés le meilleur rendement. C’est donc la solution idéale pour ceux qui n’ont pas de nucléaire et pas assez d’hydraulique. Pour des raisons de prix, les énergies solaire et éolienne ne peuvent pas dépasser 25 % de la consommation, car il s’agit d’énergies intermittentes et les stockages actuels ont encore des rendements faibles.

Pour l’Europe, qui est l’économie la plus solide, quoi qu’on en dise, le gaz continuera à avoir une position centrale pour la fourniture d’électricité. Il peut venir soit par gazoduc, soit par méthanier, mais des investissements considérables sont à réaliser. En effet, tuyaux et stations de compression ou installations de liquéfaction, construction de méthaniers et stations de décompression supposent des contrats de long terme entre producteurs et consommateurs. Les guerres civiles dans les pays traversés, les conflits le long des passages, les surenchères, comme les captages de produits non prévus, sont des handicaps sérieux à l’investissement et, pour rassurer les investisseurs, il faut nécessairement essayer de réduire au maximum le nombre des intervenants.

C’est ainsi que la Russie a voulu éviter les problèmes de traversée de contrées des pays ayant rejeté le passé soviétique, comme la Pologne ou l’Ukraine, et s’est alliée à l’Allemagne en sélectionnant comme responsable l’ex-Chancelier Schröder pour bâtir un gazoduc sous la mer Baltique afin d’atterrir directement en Allemagne. C’est le North Stream 1, avec comme partenaires le Russe Gazprom, les Allemands BASF et EON, mais aussi le Français Engie, l’anglo-néerlandais Shell et l’Autrichien OMV. Néanmoins, certains tuyaux continuent à traverser la Pologne et l’Ukraine, avec les difficultés de voisinage bien connues de tous. Les partenaires ont donc décidé de doubler la capacité de ce gazoduc, North Stream 2, rendant presque inutiles les anciens passages, en particulier celui de l’Ukraine ! Hongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie, des pays européens également traversés par les gazoducs existants, sont vent debout contre ce projet, tout comme l’Ukraine, bien entendu. Quant aux Italiens, qui espéraient voir arriver du gaz par un autre tuyau, le South Stream, ils vivent très mal l’abandon de ce projet. South Stream a, en effet, été arrêté par la volonté des Russes après les décisions européennes d’embargo économique à l’égard de leur pays. North Stream 2 s’apparente à une recomposition de Realpolitik entre producteurs russes et consommateurs européens avec, à leur tête, les Allemands. Quelques jours seulement après la belle unanimité affichée à la COP 21, la colère de ces cinq pays démontre l’importance des enjeux énergétiques pour l’avenir européen.

Mais il ne faut pas s’arrêter à ce stade, il est nécessaire d’analyser et de comprendre comment les enjeux du gaz vont influer sur nos relations avec notre environnement.

Tout d’abord, l’Italien ENI vient de faire une découverte somptueuse de gaz en Égypte. Comme il y a déjà une production à côté de cette merveille, son exploitation pourra être rapide, elle est programmée dès la fin de 2017 ! Avec les champs découverts en Israël (Leviathan), à Chypre et sans doute au Liban, tout ceci offshore, la Méditerranée va devenir un centre fondamental de production pour l’Europe. Les tuyaux partiront d’Égypte et irrigueront aussi le continent en y adjoignant des réserves israéliennes et chypriotes. Les investissements nécessaires conduiront à des accords entre tous les pays concernés, et ceux qui résisteront verront les trajets se modifier à leurs dépens, hors de leurs eaux territoriales. La Turquie, par exemple, n’a plus le choix. Le projet Turkstream a été suspendu après la destruction par l’aviation turque du chasseur russe. Pour autant, la Turquie ne pourra pas se passer longtemps de ce gazoduc et, un jour ou l’autre, elle sera bien obligée d’aller à Canossa en trouvant un arrangement avec la Russie.

Mais l’autre gisement géant que l’Europe souhaite investir est iranien : South Pars, le complément du fameux North Dome qui a fait la richesse du Qatar. South Pars contient des réserves considérables et n’a connu qu’une exploitation médiocre. Un des buts du déblocage du dossier nucléaire iranien est de permettre la construction d’un gazoduc pour la vente du gaz iranien à l’Europe. À n’en pas douter, avec leur intelligence diplomatique, les Perses arriveront à leurs fins. Pour les Russes et les Égyptiens, ce troisième larron n’est pas le bienvenu, mais il est inéluctable. Cependant, le trajet est chaotique, il nécessite la traversée de rivaux religieux ou ethniques, mais c’est pourtant un des enjeux majeurs pour l’avenir, avec sans doute une réduction des prix du gaz à la clé et une réelle compétition entre les acteurs.

Les rêves éveillés des contempteurs des énergies fossiles de ces dernières semaines sont balayés par les réalités géopolitiques de notre continent.

Loïk Le Floch-Prigent

Partagez cet article sur :

Nous soutenir

L’Iveris souhaite que les questions que nous développons ici soit accessibles au plus grand nombre, cependant pour poursuivre notre travail votre soutien nous est précieux. 

Pour contribuer cliquez sur ce lien.

Dernières parutions